Dysfonction exécutive de la personne autiste : avez-vous essayé de l’éteindre et de le rallumer ?

 


Dysfonction exécutive de la personne autiste : avez-vous essayé de l’éteindre et de le rallumer ?


Nous continuons d’avancer dans cette série dont j’espère qu’elle intéresse mon lecteur autant que moi et aujourd’hui, je propose un détour du côté de la boucle de dysfonction décrite dans mon dernier article.

 

De l’inertie

Comme je l’ai décrit précédemment, certaines tâches sont susceptibles de nous piéger, car nos cerveaux sont moins bons que d’autres pour changer d’activité en cours. Lorsqu’une activité possède une fin naturelle et tangible, nous pouvons rencontrer des difficultés, mais les choses restent dans le domaine du gérable. En cas d’activité n’ayant pas de fin évidente, en revanche, et parfois même pas d’objectif précis, nous sommes susceptibles de rester coincés un long moment.

 

Il peut être tentant de diagnostiquer de la paresse, une flemme ou un manque de motivation lorsqu’une personne autiste reste coincée sur une activité peu stimulante et peu intéressante, parfois pendant des heures, alors même qu’elle a mieux à faire, mais ce n’est pas ce qui se passe. La personne coincée se sent littéralement piégée, et désire changer d’activité, mais n’en est pas capable à l’instant T.

Pire, le déplaisir qu’elle ressent face à situation peut empirer le blocage si elle est coincée dans une activité qui d’ordinaire amène de la dopamine à son cerveau : ce dernier investit d’autant plus d’attentes dans l’activité en cours, qui est censée donner de la satisfaction. L’idée de lâcher cette activité est extrêmement contre-intuitive et amène un pic de frustration intense, parce que même si la personne sait consciemment qu’elle se sentira mieux dans dix minutes quand elle se sera mise à faire autre chose, en même temps, une partie d’elle est convaincue qu’elle vient d’abandonner une quête complexe et épuisante quelques secondes avant que la récompense ne lui soit offerte sur un plateau.

 

Se décoincer d’une boucle de recherche de dopamine

Ce qu’il faut éviter avec son proche autiste

L’on veut toujours bien faire, et face à un proche autiste coincé et en souffrance évidente, il peut être tentant de lui prendre des mains ce qu’il est en train de faire, d’éteindre la musique, de lui dire de se bouger et d’ouvrir les fenêtres pour l’aérer un coup.

Bien sûr, il ne faut pas faire cela à moins que la personne l’ait demandé elle-même. Notre autonomie inclut un droit à nous planter, et traiter quelqu’un comme une marionnette dont on prend les décisions est inacceptable, comme je sais que mon lecteur en a bien conscience.

A lire également : De l’infantilisation de la personne autiste

Ce qu’il faut éviter, dans l’absolu, c’est tout ce qui n’a pas été validé par la personne directement concernée. On s’abstiendra également de tout jugement, tentative de discussion intense et/ou culpabilisante, ou commentaire moralisateur : tout ce qui augmente le déplaisir de la personne pousse son cerveau à contrebalancer en cherchant de la satisfaction, ce qui la plonge encore plus dans l’activité où elle est piégée.

 

Quoi faire pour se décoincer

 Nous l’avons compris, la personne coincée est en recherche de dopamine, c’est-à-dire pour grossir le trait : son cerveau veut une récompense, la méthode habituelle ne marche pas, mais il s’entête[1].

L’idée pour se sortir de là sera de rompre la boucle de la manière la plus minime qui soit, pour que l’effort à fournir soit aussi petit – et donc faisable — que possible.

Quelques techniques :

– Se lever pour boire un verre d’eau, avec la promesse qu’après on peut reprendre l’activité

– Manger quelque chose de plaisant et simple à manger, par exemple un morceau de fruit

– Demander à un tiers de nous demander de bouger[2]

– Narrer à voix haute ce que l’on fait comme si on le racontait à un proche, par exemple « comme tu vois, là, je suis sur TikTok, en train de me demander comment trouver la motivation nécessaire pour aller au point relais déposer ce colis, à moitié convaincue que si je regarde une 254e vidéo, je me sentirai mieux »

– Dire à voix haute ce que l’on aimerait faire à la place de l’activité en cours, et comment cela nous ferait nous sentir

– Chanter

– Faire une vérification de l’intéroception : un besoin ignoré peut être une source d’inconfort que le cerveau tente d’ignorer avec de la satisfaction immédiate

 

Pour les tiers désirant aider leur proche autiste, l’idée sera d’amener une distraction plaisante. On peut donc :

– Annoncer que l’on va faire une activité agréable et mentionner que la personne coincée pourrait participer (« Je vais me balader, tu peux venir si tu veux ! »)

– Amener à la personne une boisson ou un aliment agréable

– Noter de manière très neutre ce qui se passe ou, si l’on n’est pas certain d’y arriver sans jugement, demander à la personne ce qu’elle fait

– Ne pas attendre la personne, mais sans chercher à la culpabiliser (par exemple, dire « moi je suis prêt, je vais commencer à désherber, rejoins-moi quand tu as fini » plutôt que « tu avais dit que tu désherberais avec moi et je vois que tu n’es toujours pas prêt, tu me fais perdre du temps, je préfère commencer sans toi puisque tu traînes à ne rien faire »)

 

Éviter le problème

Mon lecteur l’aura compris, je suis plutôt partisane de la stratégie qui consiste à ne pas se mettre dans une situation dont il est compliqué de sortir. Je l’ai abordé en détail dans les articles précédents, je le répète rapidement ici, je pense qu’il est préférable avant de commencer une activité de toujours :

– Identifier sa fin naturelle, qui soit un élément quantifiable et atteignable

– Si elle n’en a pas, lui en assigner une (« je lis jusqu’à la fin du chapitre 6 », « je regarde trois épisodes en même temps que je fais cette activité, et j’arrête quand le troisième est fini » ou « je dessine jusqu’à ce que le lampadaire devant chez moi s’allume »)

– S’empêcher de passer trop de temps sur une activité susceptible de créer une boucle en prévoyant une autre activité après un certain temps, par exemple se dire qu’on peut regarder les oiseaux par la fenêtre jusqu’à la réunion dans 20 minutes

– Identifier quelles activités de ce genre ne nous apportent pas réellement de joie et les remplacer par d’autres activités moins susceptibles de nous piéger

 

Conclusion

J’espère avoir clarifié la situation pour mon lecteur et lui éviter à l’avenir quelques situations de piège. La dysfonction exécutive, quelle que soit la facette qui nous affecte le plus, est un symptôme particulièrement déplaisant tant par ses conséquences qu’à cause de la honte qui y est associée, et la facette « inertie » est particulièrement génératrice d’émotions compliquées. Se tourner vers un professionnel qualifié, que ce soit pour aider vis-à-vis de la dysfonction ou pour parler des ressentis associés, est toujours une bonne idée.


Commentaires

Articles les plus consultés