Michel Houellebecq y Venecia bajo la niebla.

 


"Venezia questa mattina", dice el post original de esta foto.

Michel Houellebecq, un écrivain catholique ?

[Entretien] Certains n’hésitent pas à l’affirmer. Pour comprendre de quoi est fait l’attachement de Michel Houellebecq au catholicisme, un détour par ses œuvres poétiques est indispensable. C’est ce que propose le dominicain Olivier-Thomas Venard.
Interview Sixtine Chartier


Au fil de son œuvre et des entretiens qu’il donne, Michel Houellebecq se montre profondément marqué par la religion, notamment le catholicisme. Ce thème est développé avec brio dans Misère de l’homme sans Dieu. Michel Houellebecq et la question de la foi (Champs essais), un essai qui paraît en même temps qu’Anéantir, le nouveau roman de l’écrivain français, dont la renommée dépasse les frontières de l’Hexagone.

Dans cet ensemble d’études remarquable, le dominicain Olivier-Thomas Venard, docteur en lettres et en théologie, professeur à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, propose une plongée dans les poèmes de Michel Houellebecq, « cœur incandescent de son œuvre ». Exégète attentif, il souligne la prégnance du catholicisme dans la pensée de l’écrivain, qui se révèle « un drôle de paroissien ».

N’est-ce pas paradoxal que celui que vous nommez « une des voix catholiques les plus authentiques de notre temps » soit aussi la voix, par ses personnages principaux, de la désillusion, du désespoir et d’une ironie mordante ?

Quand j’écris cela, je n’entends pas « catholique » d’abord dans son sens confessionnel, en tant que membre de l’Église catholique romaine, mais dans son sens étymologique (« selon le tout »), c’est-à-dire selon une pensée du monde, de l’homme et de Dieu qui se veut le plus totalisante possible.

Il se trouve, par ailleurs, que la tradition catholique romaine est très présente dans l’œuvre de Michel Houellebecq. Par exemple, il cite des encycliques, comme Rerum novarum, ou des formules qui viennent directement du magistère, comme « de la conception à la mort naturelle »…

Or, cette référence théologique et ecclésiastique prégnante cohabite avec un sentiment doux amer, désillusionné, que l’on ressent partout dans son œuvre. Ce sentiment correspond à la morsure du nihilisme contemporain, cette morsure de l’âme et du cœur qui fait pleinement partie de la condition croyante aujourd’hui.

La présence chrétienne chez Houellebecq apparaît-elle donc uniquement en négatif ?

Non, car il espère encore. Il y a certes chez lui la « misère de l’homme sans Dieu » selon la formule de Pascal, un écrivain qu’il affectionne, mais aussi la braise encore ardente sous la cendre. Ce dont il s’étonne lui-même dans des passages bouleversants : « Ressens dans tes organes la vie de la lumière », écrit-il (Poésie, J’ai lu). Ou encore : « Dans un sens, il est plutôt agaçant de constater que je conserve la faculté d’espérer. »

Au fond, il y a plusieurs manières d’être une voix catholique en poésie : la manière un peu triomphale d’un Claudel, la manière romantique d’un Baudelaire, qui se sait infidèle mais qui sait que, sans la doctrine du péché originel et de la grâce, on ne comprend rien à la condition humaine, la manière révoltée d’un Rimbaud, qui, dans Une saison en enfer, se réfère en permanence à la Bible, à la mystique et même au bréviaire, qu’il parodie. Ces deux derniers sont des références importantes pour Michel Houellebecq. À leur suite, il s’inscrit dans la grande tradition française de joute entre la littérature et la foi.

Vous pensez que, au-delà de la nostalgie ou de la révolte, on peut trouver chez lui une vraie conviction spirituelle ?

Oui, car il capte quelque chose de l’Esprit. C’est la marque des plus grands écrivains que de détecter, sinon d’identifier la Voix qui se dit dans leur voix. Certains la découvrent avec colère, comme Rimbaud. Car ce dernier était bien conscient de se poser en rival du Verbe incarné : « Que comprendre à ma parole ? Il fait qu’elle fuit et vole », comme il dit dans Une saison en enfer. Il se rendit compte du ridicule et finit par se taire… Sur un mode plus doux, on pense à la résignation d’un Verlaine, qui finit par se soumettre à la voix de la faiblesse.

L’œuvre poétique de Houellebecq a quelque chose à nous dire aujourd’hui, car nous vivons un effondrement à tous points de vue. En dépit de l’insignifiance culturelle de l’institution ecclésiastique secouée par les scandales et l’incohérence, en dépit du blasement des femmes et des hommes de sa génération qui ont vécu la déferlante consumériste, Houellebecq témoigne du fait que le cœur de l’homme reste tendu vers Dieu. Espérance, foi et charité sont présentes dans son œuvre, non comme des vertus, mais comme de véritables pulsions théologales. Finalement, la poésie de Houellebecq témoigne de l’ultra-proximité de Dieu et de la réaction de tout un chacun par rapport à cette proximité : on n’ose pas y croire.

Son rapport au Christ est spécial. Il a déclaré au Nouvel Obs en 2015 : « Je n’aime pas Jésus. Il subvertit inutilement la société dans laquelle il vit. C’est un peu un révolutionnaire en un sens. Je n’aime pas ces gens-là. »

C’est plutôt la figure du Jésus révolutionnaire qu’il n’aime pas. Cette phrase montre combien Houellebecq capte bien l’esprit de l’époque ; elle pose aussi une question aiguë à l’Église institutionnelle : quelle présentation a-t-elle faite de Jésus, pour qu’il soit couramment réduit à une sorte de soixante-huitard ? Cela dit, il faut reconnaître chez Houellebecq une vraie influence du traditionalisme français (on le décrit souvent comme un écrivain réactionnaire), qui a tendance à instrumentaliser la religion au service de la société.

On peut le comprendre, car Houellebecq revient du grand débridage consumériste des années 1970. Il veut de la tenue. En ce sens, il a des phrases extraordinaires sur « le bonheur immobile et cyclique de la répétition » : pour survivre dans un monde végétatif, où l’informel est en exubérance permanente, il faut de la forme, de la répétition… comme le « vieux prêtre noir qui dit sans pleurnicher la messe du dimanche » (Poésie, J’ai lu).

Comment comprenez-vous cette ambivalence fondamentale entre pureté et obscénité, entre sens religieux et profanation ?

La mission d’écrivain qu’il se donne est de dire la vérité. Dans « Frapper là où ça compte », il cite en exergue la Deuxième Lettre à Timothée : « Efforce-toi de te présenter devant Dieu comme un homme éprouvé, un ouvrier qui n’a point à rougir, qui dispense droitement la parole de vérité. » Or, la vérité de la condition humaine est que l’homme est à la fois ange et bête. Il y a en lui la misère qui s’exprime à travers sa dimension corporelle qui peut conduire à un enfermement, à une espèce de transcendance par le bas.

Mais la condition corporelle peut aussi être vécue dans l’esprit comme une aspiration à la grâce. Houellebecq l’exprime très bien dans ses suites érotiques. L’œuvre de l’amour, y compris physique, peut devenir un culte. Cela correspond en quelque sorte à la conception paulinienne de la sexualité : l’union entre femme et homme exprime l’union du Christ et de l’Église.

Là où beaucoup de nos contemporains voient une contradiction, en réalité il n’y en a pas. Il n’y a pas en soi d’opposition entre la sexualité et la vie dans la grâce. Même si ses critiques le comprennent rarement, Houellebecq, lui, le sait bien, dont la culture religieuse biblique et théologique est si supérieure à celle de ses censeurs !

Toutes ces références religieuses ne sont-elles pas purement esthétiques ?

Dans le cas d’un poète, on ne peut pas dissocier l’expression et la pensée. Houellebecq n’est jamais dans le décoratif ni le snobisme éthéré. Est-ce de la dérision ? une adhésion sincère ? un regret de ne pas y arriver ? Un peu tout cela à la fois. Et en ce sens il témoigne de l’expérience croyante aujourd’hui qui n’est pas l’inaltérable adhésion à une certitude ; mais le fut-elle jamais ?

Comment le bibliste que vous êtes a-t-il vécu cette plongée dans l’œuvre de Houellebecq ?

Je l’ai reçue comme un rappel opportun de la puissance de l’écriture et comme un témoignage sur le jaillissement de la parole. Houellebecq lui-même s’étonne d’atteindre une forme d’inspiration ou de prophétie. L’étude d’œuvres poétiques comme la sienne pourrait aider les biblistes à retrouver une ontologie du « saint langage », comme disait Paul Valéry. Trop souvent on réduit le langage à une représentation du monde. Comme poète et presque à son corps défendant, Houellebecq nous rappelle que la parole n’est pas seulement une représentation : c’est une puissance.

À lire
Littérature et Théologie. Une saison en enfer, d’Olivier-Thomas Venard, Ad solem.
Misère de l’homme sans Dieu. Michel Houellebecq et la question de la foi, sous la direction de Caroline Julliot, Agathe Novak-Lechevalier, Champs essais, Flammarion.


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