Grand Albert & Petit Albert

    Grand Albert & Petit Albert


Célèbres livres de magie populaire colportés autrefois dans les campagnes

Classiques de l’ésotérisme, « chef d'œuvre de la sorcellerie de village » selon Papus, best-seller de la littérature de colportage, ces deux livres sont incontournables si l’on s’intéresse à la magie et au folklore des croyances campagnardes françaises.

Histoire et contexte


Le Grand Albert et le Petit Albert doivent leur nom au célèbre savant médiéval Albrecht von Bollstädt, dit Albert le Grand (1200 - 1280 ap. J.C.), auquel on attribue l’écriture de ces ouvrages. Théologien, philosophe, naturaliste et alchimiste, Albert le Grand publia au cours de sa vie un important corpus de livres consacrés aux sciences de la nature ; il est également connu pour avoir été le maitre de Thomas d’Aquin – et il fut canonifié en 1931 par le pape Pie XI.
Représentation d'Albert le Grand sur une fresque de Trevise, en Italie, par Tommaso da Modena (1352 ap. J.C.)
Cependant, le Grand et le Petit Albert ne furent publiés qu’à partir de la Renaissance :
  • 1493 pour le Grand Albert sous le titre de Liber Secretorum Alberti Magni de virtutibus herbarum, lapidum et animalium quorumdam (soit en français : « Livre des secrets d'Albert le Grand sur les vertus des herbes, des pierres et de certains animaux »).
    Le livre sera traduit en français dans des éditions ultérieures, au début du XVIème siècle.
  • 1668 pour le Petit Albert. Il est alors nommé : Les secrets merveilleux de la magie naturelle du petit Albert tirés de l'ouvrage latin intitulé Alberti Parvi Lucii Libellus de mirabilibus naturae arcanis... enrichi de figures mystérieuses, d'astrologie, physionomie... .
    Le Petit Albert a probablement été envisagé dès le départ comme une suite au Grand Albert.
Ces deux œuvres sont en réalité une compilation de textes issus de nombreux auteurs anciens, dont certains anonymes.
Seul le premier et le second livre du Grand Albert seraient vraiment d’Albert le Grand. Le Grand Albert contient également des extraits de textes divers auteurs médiévaux comme Michael Scot, Jean de Séville... voire même des romains Pline l’Ancien et Galien.
Les textes qui composent le Petit Albert sont quand à eux pour la plupart anonymes, mais le savant et alchimiste Theophrastus Bombastus von Hohenheim, dit Paracelse (1493 – 1541 ap. J.C.) est souvent cité par la tradition populaire comme leur auteur. L’origine de certaines recettes et tours peut être tracée et remonte à des érudits médiévaux comme Jérôme Cardan et Giambattista Della Porta.
Peinture de Theophrastus Bombastus von Hohenheim, dit Paracelse, par Quentin Matsys (XVIème siècle ap. J.C.)
La composition exacte du Grand et du Petit Albert varie suivant les éditions et les époques, ce qui explique que tous les exemplaires de ces livres n’aient pas nécessairement le même contenu et que les illustrations soient très variables.

Un rôle important dans le folklore et la magie populaire


Le Grand et le Petit Albert furent essentiellement distribués par le biais des colporteurs, qui voyageaient de ferme en ferme et les proposaient aux paysans. Ils étaient la plupart du temps vendus ensembles, parfois associés à l’Almanach (un calendrier décrivant les phases de la Lune et accompagné de dictons, trucs et astuces, recettes de cuisine...), voire au Dragon Rouge? (un autre ouvrage de magie populaire).
Le Grand Albert et le Petit Albert connurent un énorme succès, justifiant leur réédition régulière. Claude Seignolle estime qu’au maximum de leur succès, près de 400 000 exemplaires des livres étaient vendus chaque année dans les seules Ardennes Belges ; ainsi, malgré le silence qui entourait le livre, chaque famille en possédait un exemplaire...
Le succès du Grand et du Petit Albert est paradoxal a bien des points de vue : l’acheteur moyen était en général un paysan, souvent illettré ou ne comprenant que le patois (donc incapable de les lire !), et de surcroit profondément croyants et catholiques. En outre, ces livres n’étaient que d’une utilité très relative pour l’agriculteur : ils ne s’intéressent pas vraiment aux cultures ou à l’élevage, et leurs recettes et formules sont difficiles à mettre en pratique.
Cependant, tout s’explique si on considère que le contenu des livres importe peu ; c’est l’objet en lui-même qui est source de pouvoir et de prestige. Le Grand et le Petit Albert jouent le rôle de talismans, la simple possession d’un tel grimoire rejaillit sur le paysan qui en est le propriétaire.
La couverture du Grand Albert, sur différentes versions du XVIIIème siècle de l'éditeur lyonnais Béringos

Le Grand Albert et le Petit Albert étaient également entourés d’un très grand nombre de rumeurs et d’histoires, dont voici quelques unes :
  • la lecture ou la possession des livres rendrait fou son propriétaire, voire damnerait son âme ;
  • du sang coulerait des pages des grimoires ;
  • lorsqu’on lit les livres, un grand vacarme se ferait entendre ;
  • il serait impossible de détruire, de déchirer ou de brûler les livres...
  • posséder un de ses grimoires chez soit attirerait le mauvais œil et les phénomènes surnaturels...
Pour se prévenir de leurs maléfices, certains paysans tentent de faire bénir leurs livres... en les cachant sous l’autel de l’église.
Traité de médecine, de pharmacologie, d’astrologie, de zoologie et de secrets médiévaux... Le Grand Albert et le Petit Albert ont pourtant un contenu très sage si on les compare aux autres classiques de la sorcellerie que sont le Dragon Rouge?, la Poule Noire? ou le Grimoire du Pape Honorius?.
Leur réputation sulfureuse fut probablement le fait d’une publicité des colporteurs, qui avait tout intérêt à entretenir la légende autour de ces livres.
L’Eglise catholique voit bien entendu d’un très mauvais œil le Grand et le Petit Albert ; les curés exhortent leurs ouailles à ne pas faire l’acquisition de tels grimoires ou à s’en débarrasser s’ils en possèdent un.
De fait, on achète le Petit et le Grand Albert en secret, on les lit le plus discrètement possible... Lorsqu’on ne les consulte pas, les grimoires sont cachés dans un tiroir ou dissimulés derrière une armoire.
Cependant, malgré une idée très répandue, l’Eglise n’a jamais mis à l’index le Petit Albert et le Grand Albert ; ceux-ci seront indirectement censurés quand l’Etat français interdira la littérature de colportage entre 1793 à 1815, la Convention craignant qu’elle ne puisse être utilisée à des fins séditieuses.

Impact et intérêt actuels


Le Grand et le Petit Albert sont probablement le matériau d’origine de nombre de potions et objets magiques décrits dans les histoires de sorcellerie actuelles, qu’elles soient présentées comme réelles ou pures fictions.
Certaines recettes exposées dans les livres sont probablement à l’origine de l’image classique de la sorcière avec ses potions à base de bave de crapaud et autres ingrédients dégoutants.
Cependant aujourd’hui encore, et malgré le côté dépassé ou involontairement « folklorique » de leur contenu, la réputation du Grand Albert et du Petit Albert reste très grande. Il n’est pas rare de voir des recettes et pratiques issues des Alberts reprises – et présentées comme fonctionnelles – sur certains sites Internet consacrés à la sorcellerie.
Le Grand et le Petit Albert ont également un grand intérêt historique, puisque les textes qui les composent sont anciens et témoignent de la médecine et des sciences médiévales. Ils ont en outre un intérêt folklorique et ethnographique certain, puisqu’ils permettent d’étudier les croyances campagnardes de l’ancien temps.

Contenu des livres



La couverture du Grand Albert, sur une version de 1703 de l'éditeur Le Dispensateur de Secrets
Le Grand Albert
  • Introduction
De contenu variable, elle peut contenir un Épitre, un Avis au lecteur et un texte nommé La pensée du prince des philosophes (terme poétique désignant Aristote).
  • Premier livre : De secretis mulierum (« Des secrets des femmes »)
Ce premier livre est traité d’embryologie et de gynécologie médiévale. Il décrit l’évolution du fœtus et les influences astrologiques sur son développement. Il détaille également la sexualité des femmes, les signes annonciateurs d’une grossesse et les différentes phases avant l’enfantement.
Ce premier livre est directement inspiré du chapitre IX de l’ouvrage De Animalibus (« Des animaux ») d’Albert le Grand (1258), ainsi que de textes d’auteurs médiévaux comme Jean de Séville (aux environs de 1155) et de Philippe de Tripoli (aux environs de 1250).
Extrait : « Ayant suffisamment instruit le lecteur du sujet que l’on dit traiter dans ce livre, on croit à propos et même nécessaire d’en venir à l’effet et de commencer cette matière par l’embryon ; il faut pourtant remarquer et savoir que tout homme qui est naturellement engendré, est suivant le sentiment des philosophes et des médecins, formé de la semence de son père et du pur sang de sa mère ; avec cette différence qu’Aristote soutient que le fœtus se forme du seul sang de la mère »
  • Deuxième livre : Liber aggregationis (« Le Livre de la Réunion »)
Il se divise en deux parties : un premier chapitre, nommé De virtutibus herbarum, lapidum et animalium qurundam (« Des vertus des plantes, des pierres et de quelques animaux »), qui traite de pharmacologie médiévale, parle d’astrologie, décrit les vertus des organes de nombreux animaux, des plantes, des pierres... A une liste de remèdes aujourd’hui exotiques, de considérations astrologiques on trouve aussi quelques recettes plus « magiques » : empêcher ou déclencher l’amour, rendre un homme fidèle, faire mourir un serpent, blanchir la peau…
Ce premier livre serait partiellement inspiré du livre De mineralibus (« Des minéraux ») d’Albert le Grand (1256).
Le second chapitre, nommé De mirabilibus mundi (« Des merveilles du monde »), est un recueil de citations extraits d’ouvrages grecs, arabes ou latin.
Extrait : « La première est de saturne, et s’appelle Offodilius. Son suc est fort bon pour apaiser et guérir les douleurs de reins, et les maux des jambes. On la donne aussi à ceux qui sont incommodés de la vessie. Que si l’on fait tant soit peu cuire sa racine, les démoniaques et les mélancoliques qui la porteront dans un linge blanc seront délivrés, enfin cette même racine chasse les malins esprits des maisons. »
  • Troisième livre
De contenu variable, ce troisième lire peut se composer de :
- Des secrets merveilleux et naturels, un traité de pharmacologie médiévale et de magie inspiré du livre XXX des Historia Naturalis (« Histoire Naturelle ») de Pline l’Ancien (Ier siècle ap. J.C.).
- Des vertus et propriétés de plusieurs sortes de fientes, traitant des vertus des excrément et inspirés d’ouvrages d’auteurs romains comme Galien (IIème siècle ap. J.C.), Dioscoride (Ier siècle ap. JC.)...
- Secrets éprouvés pour manier plusieurs métaux, exposant des méthodes pour rendre plus dures la lames des couteaux, tordre des métaux très durs...
Ces recettes sont nettement plus sulfureuses que dans le livre précédent, puisqu’à base de fientes, d’insectes, de vers de terre, de salive d’homme, de toile d’araignée...
Extrait : « Il n’y a personne qui ne sache que le loup est un animal cruel, qui dévore souvent la chair avec les os ; si l’on prend les os que l’on trouvera parmi cette fiente, et qu’on les pile bien menus, ensuite qu’on les boive avec un peu de vin ; ce breuvage a une vertu particulière et admirable pour guérir sur le champ de la colique, de quelque manière qu’elle soit venue. »
  • Quatrième Livre : De secretis naturae (« Des secrets de la nature »)
Il se divise en deux chapitres. Le premier, Physiognomonia (terme n’existant pas en français), est un traité de physionomie ; il pose que l’étude du visage et du corps de quelqu’un révèle son véritable caractère. Il décrit donc quelle forme de nez, de visage, de mains et d'autres parties du corps désigne une personne honnête, un menteur, une intelligence...
Le deuxième chapitre, De hominis procreatione (« De la procréation de l’homme ») s’intéresse quand à lui à la procréation humaine, d’une façon similaire au premier livre De secretis mulierum.
Ces deux premiers chapitres sont issus du livre du savant médiéval Michael Scot (De secretis naturae, 1200).
A ce tronc commun, peuvent se rajouter « Des jours heureux ou malheureux », un almanach qui aborde les mois, semaines et jours selon leur lien aux événements bibliques ; et « Des fièvres malignes », qui décrit divers manières de traiter les maladies (« humeur maligne ») et de préparer les remèdes.
Extrait : « Les sourcils épais marquent un homme épargnant, secret, sage, fort curieux des belles choses, riche en apparence. Celui qui a les sourcils long a peu de capacité, et un esprit subtil, il est fort hardi, heureux et un ami sincère et véritable. »


La couverture du Petit Albert, sur une version du XVIIIème siècle de l'éditeur lyonnais Béringos
Le Petit Albert
Son contenu est hétéroclite et change suivant ses nombreuses éditions. Les sujets abordés sont très vaste :
  • la physionomie ;
  • la chiromancie (étude des lignes de la main) ;
  • les talismans et amulettes ;
  • les élémentaux? (esprits des quatre éléments). Il s’agit, selon le Petit Albert, des salamandres (feu), gnomes (terre), sylphes (air) et nymphes (eau).
  • l’astrologie...
Et pêle-mêle, de très nombreuses recettes et secrets sont exposées :
  • médicaments : revigorants pour ôter la fatigue aux hommes et aux chevaux ; remède pour les morsures de loup, pour guérir de la « peste », pour ne plus avoir la mauvais haleine...
  • aphrodisiaques : comment dénouer l’aiguillette ou à l’inverse comment rendre une personne impuissante, comment rendre une personne amoureuse...
  • cosmétiques et parfums : parfums en lien avec les planètes du système solaire et les 7 jours de la semaine, remède pour faire disparaître les boutons, recettes pour fabriquer soi-même son savon et son eau de toilette...
  • moyen de contrefaire une substance, comme le musc ou les perles ;
  • techniques agricoles : techniques pour cultiver des champignons, pour faire fuir les fourmis ou les oiseaux ravageurs, pour conserver le vin sans avoir recours aux épices...
  • secrets pour découvrir des trésors : recette de la célèbre « main de gloire », objet magique fabriqué avec une main de pendu qui permet de trouver des trésors et de cambrioler sans risque ; création d'un chandelle dont le suif est fait à base de graisse humaine, qui crépite à l'approche d'un trésor...
  • diverses tromperies et recettes amusantes comme un moyen d’amollir les œufs avec du vinaigre puis les faire passer dans une bague...
Certaines de ces recettes sont issues d’auteurs médiévaux, comme Jérôme Cardan (De subtilitate, 1552) et Giambattista Della Porta (Magia naturalis, 1598).
La partie du Petit Albert consacrée aux élémentaux? provient vraisemblablement du livre de Paracelse Liber de Nymphis, sylphis, pygmaeis et salamandris et de caeteris spiritibus (« Le livre des nymphes, des sylphes, des pygmées, des salamandres et de tous les autres esprits ») (1535). Quand à celle sur les talismans, elle a pu être inspirée par son ouvrage Les Neuf livres de l'Archidoxe où Paracelse expose des idées similaires. Enfin, le livre De occulta philosophia (« De la philosophie occulte ») (1570), faussement attribué à Paracelse, pourrait être à l'origine de la section du Petit Albert sur la recherche de trésors.
Extraits : « Pourquoy l’eau des puits est chaude en hyver, et froide en esté ?
Pour ce que tout contraire est coustumier du fuir sont contraire. Le froid donc contraire à chaleur et pernicieux fuyant l’aer tres chaut en esté, de necessité se retire au plus profond de la terre : dont advient que l’eau est refroidie. Au contraire en hyver pourtant que l’aer de dehors est froid, le chaut fuyant au dedant de la terre, illec eschauffe les eaux. Car il n’est permis que deux contraire demeurent ensemble en mesme temps et en mesme lieu. »
« Moyen de détruire les fourmis qui nuisent aux arbres fruitiers.
Pour attirer les fourmis au bas de l’arbre, présentez-leur un morceau de sucre, ou du miel étendu sur un morceau de papier, au bas de cet arbre : elles y accoureront toutes ; faites ensuite au tour un cerce avec de la craye, elles n’oseront jamais franchir cette barrière et vous les écraserez facilement. »
« Pour oster les taches du visage.
Prenez deux once de suc de limon, et deux onces eau de rose, deux dragmes d’argent sublimé, et aussi autant de ceruse, et mettez tout ensemble, faite en maniere d’ongeuent, et en oignez le visage au soir quant vous irez dormir, et au matin quant vous vous leverez oignez-le de beurre, cela et éprouver »

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