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Rainer Maria Rilke

ÉLÉGIE À MARINA TSVÉTAÉVA

Marina, toutes ces pertes dans le grand tout, toutes ces chutes d’étoiles
Nous pouvons partout nous jeter, quelle que soit l’étoile,
nous ne pouvons l’accroître !
Dans le grand tout les comptes sont fermés.
Ainsi qui tombe ne diminue pas le chiffre sacré.
Toute chute qui renonce choit dans l’origine et,là, guérit.
Tout ne serait donc que jeu, métamorphose du semblable, transfert
Jamais un nom nulle part, le moindre gain pour soi-même
Nous vagues Marina, et mer nous sommes !
Nous profondeurs, et ciel nous sommes !
Nous terre, Marina, et printemps mille fois,
ces alouettes lancées dans l’invisible par l’irruption du chant
Nous l’entonnons avec joie, et déjà il nous a dépassé
et soudain notre pesanteur rabat le chant en plainte...
Rien n'est à nous. À peine si nous posons notre main autour
du cou des fleurs non cueillies...
Ah déjà si loin emportés, Marina, si ailleurs, même sous la plus fervente raison.

Faiseurs de signes, rien de plus.
Cette tache légère, quand l'un de nous ne le supporte plus et se décide à prendre, se venge et tue.
Qu'elle ait pouvoir de mort, en effet, nous l'avions tous compris à voir, sa retenue, sa tendresse
et la force étrange qui fait de nous vivants des survivants...
Les amants ne devraient, Marina, ne doivent pas en savoir trop sur leur déclin.
Ils doivent être neufs.
Leur tombe seule est vieille, leur tombe seule se souvient, s’obscurcissant sous l’arbre qui pleure, se souvient du « à jamais ».
Leur tombe seule se brise ...
nous sommes devenus pleins comme le disque de la lune.
Même à la phase décroissante, ou aux semaines du changement,

nul qui puisse nous rendre à la plénitude, sinon nos pas solitaires, au-dessus du paysage sans sommeil.

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