Lettre d'Oscar Wilde à Lord Alfred Douglas.

Lettre d'Oscar Wilde à Lord Alfred Douglas.


Mon très cher,
J’ai dû demander à mes amis de me quitter car je suis si bouleversé, si déprimé par la lettre de mon avocat et par l’appréhension d’un danger grave que j’ai réellement besoin de solitude. Je découvre que le moindre tracas détruit ma santé et me rend odieux, irritable et méchant, ce que je déteste.
Certes il nous est impossible à présent de nous réunir. Il me faut déceler les motifs sur lesquels s’appuie mon avocat pour prendre cette mesure subite et il est certain que, si votre père — ou plutôt Q., puisque je ne le connais et ne pense à lui qu’ainsi — si Q. venait faire une scène et du scandale, cela détruirait complètement mes possibilités d’avenir et m’aliénerait tous mes amis. Or je dois tout à mes amis, jusqu’aux vêtements que je porte et je tomberais dans la misère si je faisais quelque chose qui les éloignait de moi.
Nous venons donc nous borner à correspondre pour nous entretenir de ce que nous aimons, de la poésie et des arts colorés de notre époque et de ce transfert des idées en images qui est l’histoire intellectuelle de l’art. Je pense toujours à vous, je vous aime toujours ; mais des abîmes de nuit sans lune nous séparent, que nous ne pouvons franchir sans nous exposer à un péril affreux et innommable.
Plus tard, quand l’Angleterre aura perdu son inquiétude, quand le secret sera possible et que le silence fera partie de l’attitude du monde à notre égard, nous pourrons nous revoir ; mais à présent, vous voyez que c’est impossible. Je serais harcelé, agité, nerveux. Je n’aurais aucune joie à vous laisser me voir tel que je suis maintenant.
Il vous faut aller en quelque endroit où vous puissiez jouer au golf et retrouver votre teint de lys et de rose. Soyez gentil, ne me télégraphiez pas à moins de motifs d’importance vitale : le bureau de télégraphe étant à sept kilomètres du facteur, puis la réponse, et, hier, après trois facteurs successifs et trois réponses successives, j’étais sans le sou, ainsi qu’à bout de nerfs. […]

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